LA
LUTTE CONTRE LES TARES GÉNÉTIQUES
La lutte contre les tares génétiques par le Professeur Guy
QUEINNEC
Problèmes posés par l'éradication
La lutte contre les tares génétiques dans l'espèce canine
est engagée depuis longtemps. L'éradication des ectopies testiculaires est
absolue depuis 1952, et pourtant le taux atteint encore en France 10% dans
certaines races d'origine britannique, et jusqu'à 40% en Allemagne dans
d'importantes races nationales, selon une publication vétérinaire. Il faut donc
en déduire ou bien que l'ectopie n'est pas toujours héréditaire (ce qui est la
position de la S.F.C.), ou bien que la lutte par élimination est peu efficace
(ce que le partisan de la thèse génétique sait expliquer).
La lutte contre la dysplasie coxofémorale, malgré de réels résultats (qui
peuvent d'ailleurs être aussi obtenus par une simple limitation du taux de
calcium dans la ration), plafonne ou risque de décourager les plus actifs. Deux
tentations opposées se font alors connaître.
Les uns veulent renforcer des contrôles draconiens, imposer les éliminations
brutales et massives sans redouter la disparition ou l'altération des cheptels
concernés, quitte, disent-ils, à la reconstituer par des importations ! D'autres
baissent les bras et refusent toute action jugée a priori inutile, et sont prêts
à toute une série d'échappatoires pour continuer à élever malgré tout, quitte
pour cela à abandonner le L.O.F. Ceux-là seront d'ailleurs amers envers leur
club de race et virulents contre la profession vétérinaire.
Or, on peut comprendre les échecs et leurs causes sans pour autant abdiquer, par
une réflexion fondée sur le terrain et non les habitudes.
Lutter contre les tares génétiques
La présence chez le chien de race de nombreuses tares
dites d'origine génétique fait couler beaucoup d'encre, que cette origine soit
attestée, alléguée, présumée ou possible. Et d'aucuns réclament à cor et à cri
une totale épuration du génome par des méthodes drastiques d'élimination. Cela
pose divers problèmes.
Il paraît évident qu'il faille lutter contre les tares graves précocement
invalidantes, dont l'acheteur ne saurait assumer les conséquences affectives ou
économiques. Il est beaucoup plus discutable de s'occuper de toutes les
insuffisances, notamment lorsqu'elles se manifestent au soir de la vie et que le
maître, comme le chien, s'en accommodent peu ou prou.
Entre les deux, on trouve toutes les possibilités. Si l'objectif d'une salubrité
totale pouvait être atteint, la réflexion devrait porter avant tout sur les
moyens et le rythme de l'éradication.
Mais en réalité les mutations et les accouplements de type panmictique vont
maintenir un certain taux de tares. La moindre importation d'un tiers dans la
lignée indemne, que cette importation vienne de France ou de l'étranger, va
annuler les efforts consentis.
Il faudra donc se limiter à quelques tares et construire un système de sélection
qui favorise les sujets robustes et réduit la fréquence des tares connues ou
inconnues. Il faut par conséquent plutôt promouvoir les sujets sains que se
braquer sur les autres.
Difficultés de la lutte
Quelles que soient les méthodes retenues, elles soulèvent de tels problèmes
qu'on peut même s'interroger sur l'efficacité d'une lutte dans un système
acceptant une dose de liberté, tant dans le choix des reproducteurs que dans
celui du praticien dépisteur.
L'origine génétique
1) Si les manifestations du phénomène (la tare) sont
repérables isolément, on parle de mendélisme. Le principe de la lutte est simple
: élimination des atteints en cas de dominance, accouplements consanguins
étroits avec élimination des homozygotes en cas de récessivité. Mais les
facteurs de pénétrance et d'expressivité vont altérer ce beau schéma.
Rappelons que dans le meilleur cas il faudra 10 à 16 chiots pour éliminer la
possibilité qu'un géniteur porte une tare récessive.
2) Le cas est plus complexe s'il s'agit de génétique quantitative.
La notion physique de polygènes n'est plus guère acceptée, même si le concept
polygénique reste valable dans les calculs. Les notions d'effet de seuil, de
gênes majeurs, d'effets minorants ou majorants vont compliquer les choses.
Rappelons qu'héritabilité ne signifie pas transmissibilité génétique comme ce
terme peut le faire croire, mais qu'il s'agit d'un rapport mathématique entre
phénotype et génotype, exprimant le rapport entre la variance d'origine
génétique additive et la variance totale. Il ne prend vraiment de sens génétique
que si le déterminisme génétique a été démontré préalablement.
L'hypothèse polygénique conduit à des effets lents, souvent peu compréhensibles
pour un profane (lorsque des atteints naissent de deux géniteurs présumés
indemnes) et il restera très longtemps un certain taux de tares dans la
population, avec le risque fréquent de plafonner à un seuil (plateau)
d'élimination.
Les liaisons chromosomiques
Quelle que soit l'hypothèse retenue, la lutte ne peut
porter que sur les allèles responsables. Or ceux-ci sont portés sur un
chromosome, avec des centaines d'autres facteurs inconnus. La lutte contre
quelques caractères élimine donc avec eux de nombreux autres, inconnus, et
peut-être sanitairement plus importants.
Seule une connaissance précise du génome canin, actuellement à l'étude à Alfort
et en Californie, pourra faire la part des choses et permettre une réelle
épuration. Jusque-là nous devrons travailler globalement, et risquer alors de
jeter le bébé avec l'eau du bain.
Cela ne sera pas facilement accepté par les sélectionneurs. Enfin la
sociobiologie, dernière explication de l'Evolution, nous conduit aussi à la
prudence en montrant que des facteurs à première vue nocifs, peuvent avoir des
effets heureux qui expliquent leur pérennité.
L'approche génétique n'est donc pas simple. Si on la retient, il faut alors s'en
tenir à des lignées ultra-consanguines qui permettent seules une mise en
évidence des tares. Périodiquement on établira un brassage entre lignées épurées
pour rétablir la variabilité. Pratiquement ce ne sera pas facile à obtenir dans
une espèce réunissant de petits éleveurs.
Problèmes de diagnostic
Supposons ces problèmes résolus. Se poseront alors le
choix du praticien éradicateur et les conditions du diagnostic. Ce dernier devra
être conduit avant l'âge de la reproduction, ce qui n'est pas toujours possible.
Au-delà il n'a plus de sens dans une politique de masse. Il devra être proposé à
un tarif abordable pour l'économie de l'élevage, et avec une fiabilité totale.
Les erreurs engageraient d'ailleurs la responsabilité financière de leur auteur
à de très hauts niveaux. Les controverses actuelles sur la dysplasie
coxo-fémorale ou les tares oculaires montrent qu'on a peut-être mis la charrue
avant les bœufs en décidant la suppression de certains patrimoines génétiques
sur des probabilités étiologiques.
De toutes manières nous en reviendrons à des groupes de vétérinaires hautement
qualifiés médicalement et zootechniquement compétents. Qui attestera ces
qualités ? Comment ? Par quelles procédures ? Et comment, enfin, certains
d'entre eux seront-ils agréés par la S.C.C. ?
Dans un système libre comme aujourd'hui, il y a place pour beaucoup de
vétérinaires. Dans un système rigide, les dépistages resteront l'apanage de
quelques-uns, avec les problèmes de distances que cela posera aux éleveurs.
L'analyse des documents qui parviennent aux vétérinaires des Commissions
spécialisées de la S.C.C. montre qu'une fiabilité totale des certificats n'est
pas encore atteinte.
Réglementation et élevage
Supposons néanmoins que tout soit réglé.
Seuls les chiens inscrits au L.O.F. seront concernés, puisqu'on ne connaît pas
les parents des autres. Il faudra donc : ou interdire toute production de chiens
non L.O. F., ou accepter qu'il suffise de quitter le L.O.F. pour échapper aux
contraintes. Cela revient à inciter à abandonner le L.O.F. et toute possibilité
d'action génétique.
Les fausses déclarations et les fraudes de toute nature permettront d'esquiver
un dirigisme rigoureux, qui devra donc se renforcer (contrôle sanguin des
filiations, etc.)
Nous entrons dans un dirigisme d'état plaçant élevages et vétérinaires sous la
coupe étroite de la bureaucratie scientifique, comme cela est fait pour d'autres
espèces.
Les risques de viser tel ou tel éleveur, ou tel ou tel vétérinaire, qui ne
serait pas considéré comme intellectuellement correct, cela peut aussi détruire
beaucoup sous des prétextes scientifiques.
Dans toutes les espèces, le dirigisme génétique, naturellement prôné par les
technostructures, aurait à mon avis de redoutables effets pervers. Supposons
néanmoins que l'on s'y résigne. Il restera le cas des importations, qui, lui, ne
dépend plus d'une réglementation nationale.
Il est interdit d'édicter des freins vis-à-vis d'un pays de l'Union Européenne.
Il suffit donc d'un transit via un pays de l'Union, ou d'une importation d'un de
ces pays, pour détruire tout l'effet positif du dirigisme. Or il faut connaître
les bases de la sélection en France et ailleurs pour comprendre le danger des
importations effectuées sans contrôle vétérinaire préalable.